Entre deux feux: Péril à Shenandoah, #3

1

Trent était assis dans un silence pesant et maussade. À côté de lui, Ryan Hayes, assistant du procureur des États-Unis et brave type, tambourinait des doigts sur le volant.

Ryan s’éclaircit la voix.

— C’est temporaire.

Trent poussa un long soupir sonore.

— Je sais. Je viens de… Ryan, je préfère rester debout et me battre que de courir et me cacher.

— Je sais, vieux. Je comprends. Mais je ne suis pas sûr que tu saisisses bien la situation dans laquelle tu te trouves.

Ryan s’arrêta à un feu rouge et regarda Trent.

— Tu comprends ?

Bien sûr, Trent comprenait. Et il savait que Ryan avait raison. Mais cela ne voulait pas dire qu’il devait apprécier. Ryan garda ses yeux sur le visage de Trent, attendant une réponse.

— Je comprends. Le feu est vert.

Ryan retira son pied du frein et redémarra.

— Alors, tu réalises que le procureur a convoqué une conférence de presse durant laquelle il prévoit d’annoncer une mise en accusation contre toi pour le meurtre du contre-amiral Sampson ?

— Dont nous savons tous les deux que je ne l’ai pas commis.

— Bien sûr, et personne ne croit plus que moi en notre système de justice. Dans des circonstances normales, je te dirais d’engager un avocat criminaliste de premier ordre et de balayer l’accusation.

— Mais ce ne sont pas des circonstances ordinaires, car le ministère de la Défense s’appuie fortement sur le procureur de Virginie pour me clouer au mur. Pourtant, je reste innocent. Alors ?

Ryan secoua la tête et tourna dans une impasse bordée d’arbres.

— Alors, un ami qui travaille au bureau du procureur général m’a dit qu’ils prévoient de ne pas demander de caution.

Trent haussa les épaules.

— Et ?

Ryan s’engagea dans une large allée et arrêta la voiture. Il se tourna pour faire face à Trent.

— Et un informateur, actuellement résident à la prison du comté, m’a dit que ta tête est déjà mise à prix. Ils ne veulent pas t’enfermer pour te juger. Ils veulent te boucler pour te faire taire. Tu vois, de façon permanente.

Trent était bouche bée, mais il serra les dents.

— Tu n’avais pas mentionné ce détail.

— J’espérais ne pas avoir à le faire. Je pensais que tu étais conscient que je protège tes meilleurs intérêts. Tu sais, je pourrais perdre mon travail pour ça.

Trent se sentit soudain minable. Il regarda Ryan dans les yeux.

— Merci d’avoir pris des risques pour moi. Je suis désolé d’avoir agi comme une tête de nœud.

Ryan rejeta la tête en arrière et se mit à rire.

— Excuses acceptées. Maintenant, il y a autre chose que je ne t’ai pas dit. C’est à propos de ton logement provisoire.

Trent leva les yeux vers la maison en briques rouges, avec son portique à colonnes blanches et son garage à entrée latérale.

— On dirait une maison de banlieue standard, anonyme. Elle se fond dans le quartier. Ça semble être un bon endroit pour faire profil bas. Alors, quel est le problème ?

Ryan passa la main sur sa bouche avant de répondre.

— Tu vas la partager avec quelqu’un d’autre. Évidemment, je ne pouvais pas réquisitionner une équipe d’U.S. Marshals et un site neutre en ton nom. Pas avec l’accusation de meurtre sur le point de tomber. Donc j’ai contacté une équipe en qui j’ai confiance pour garder le secret.

Il fit un signe de tête en direction de la maison.

— Alors, quoi ? Est-ce que je partage ma piaule avec un chef de la mafia ? Un terroriste devenu témoin coopératif ? Qui est l’ordure en question ?

— Olivia.

Trent fixa Ryan pendant ce qui lui sembla durer une minute entière. Lorsqu’il reprit la parole, il n’entendit même pas ses propres mots à cause de l’afflux sanguin à ses oreilles.

— Olivia ? Comme dans Olivia Santos ?

Ryan lui empoigna l’épaule.

— La seule et l’unique. Allez, ça va bien se passer. Tu m’as harcelé pendant des semaines pour que je te dise où je l’avais cachée. Eh bien, maintenant tu le sais.

Ryan sortit de la voiture et s’approcha d’un grand homme à lunettes, aux cheveux gris, vêtu d’un jean et d’une chemise de golf, qui arrivait à grands pas sur le côté de la maison. Un membre de l’équipe chargée de protéger Olivia, sans aucun doute.

Trent était assis dans la voiture, figé, essayant de donner un sens à la nouvelle que Ryan venait de lui annoncer. Être accusé de meurtre, être victime d’un coup monté, voilà des circonstances qui auraient laissé la plupart des gens perplexes. Mais pour lui, le vrai coup de théâtre, c’était Olivia.

Olivia, qui lui avait donné un aperçu fugace de la rédemption et du bonheur – de la vie, en un mot – et qui avait tout gâché pour jouer les héroïnes. Olivia, qui avait dévoilé un réseau de politiciens corrompus et qui avait disparu sans même un au revoir. Olivia, qui remplissait ses rêves chaque nuit, mais jamais son lit le matin venu.

Il se força à ouvrir la portière de la voiture et à marcher vers la maison. Ses jambes étaient comme du plomb et sa poitrine comme une cage de fer. Il voulait dire à Ryan d’arrêter. Il préférait encore tenter sa chance avec un compagnon de cellule armé d’un couteau dans la prison du comté plutôt qu’avec Olivia Santos dans une maison de style colonial.

Olivia remit le rideau en place et se précipita hors du salon, courant vers les escaliers et la sécurité de sa chambre. Mais la marshal adjointe Nicole Reese se mit en travers de sa route.

— Vous ne restez pas pour dire bonjour à votre nouveau colocataire ?

D’après l’inclinaison de la tête de la marshal et son demi-sourire qui ressemblait étrangement à un rictus, Olivia avait le sentiment que Ryan avait renseigné son peloton de protection sur son histoire avec Trent.

— Hmm, plus tard. J’ai un peu sommeil.

Elle étira ses bras et bâilla exagérément. Nicole l’observa.

— Il est deux heures et demie de l’après-midi.

— Oh. Alors, je pense que je vais aller courir. Pour faire circuler le sang, vous voyez ?

— C’est une bonne idée. Vous devriez inviter le nouveau et apprendre à le connaître.

Olivia fit la grimace.

— Manifestement, vous savez que je le connais. Donc peu importe ce que vous voulez dire, crachez le morceau.

La marshal adjointe n’était pas exactement une amie. Mais elle était ce qui s’en rapprochait le plus dans la situation actuelle d’Olivia. Et elles vivaient ensemble depuis plus d’un mois. Elles partageaient donc une familiarité confortable. Pas comme le marshal adjoint Dane Michaels, rigide et formel, qui avait à peine esquissé un sourire pendant les trente-sept jours qu’ils avaient passés ensemble.

Le visage de Nicole s’adoucit.

— Écoutez, Ryan a dit qu’il y avait quelque chose avec Mann. Je ne connais pas les détails, évidemment, mais vous n’allez faire qu’empirer les choses si vous vous comportez de façon maladroite. Ce n’est pas comme si l’un de vous avait le choix d’être ici. Vous pourriez aussi bien faire en sorte que ce soit le moins stressant possible.

Elle soupira. Nicole avait raison.

— Je suppose que oui.

Elle se retourna et colla un sourire sur son visage, ignorant son pouls qui martelait dans sa gorge comme un oiseau piégé.

— C’est bien.

— Pourquoi est-il ici, d’ailleurs ?

Nicole la regarda de côté.

— Hayes ne vous l’a pas dit ?

— Il a dit que Trent devait disparaître pendant un certain temps, que c’était une question de vie ou de mort, et qu’il n’y avait aucun endroit où il pouvait aller. Je me suis dit que Ryan exagérait pour que je n’essaie pas d’objecter.

— Je ne pense pas que Hayes exagère. Jamais. Votre gars est sur le point d’être accusé de meurtre. Le procureur va demander la détention jusqu’au procès. Et la rumeur s’est répandue dans le milieu carcéral : un quart de million pour celui qui le met hors-jeu.

Un frisson parcourut l’échine d’Olivia. De la chair de poule apparut sur ses bras.

— Il y a un contrat sur sa tête ?

— Oui.

Quelqu’un voulait la mort de Trent au point de payer 250 000 dollars ? Elle avait tout sacrifié pour le protéger. Elle avait sacrifié la possibilité qu’ils deviennent quelque chose ensemble. Et tout ça pour rien.

Son sourire vacilla avant de s’effacer. Son estomac se noua. Sa gorge aussi. Elle n’avait rien accompli du tout. Elle avait gâché sa chance d’être heureuse. Et maintenant